A l’ère du tout numérique, la diffusion des “fake news” a changé de dimension. En plus de mettre en réseau près de 5 milliards de terriens, les outils numériques facilitent la falsification de documents. Aujourd’hui, n’importe qui – ou presque – peut fabriquer un faux numérique, en témoigne cette vidéo étonnante qui montre la production et la diffusion d’une infox durant la crise sanitaire.

Chacun est susceptible de se faire avoir par une infox. Mais les publics que nous accompagnons, en situation de fragilité sociale, ont des particularités qu’il faut prendre en compte. Lors du webinaire du 20 juillet 2022, plusieurs structures Relais Numériques ont partagé leur expérience et leurs pratiques.  Mais commençons par la base : comment expliquer la diffusion des infox

On nous manipule… mais cela n’est pas (que) de notre faute

Les infox se propagent vite, très vite… Le caractère viral  d’internet et des réseaux sociaux en est la première cause. Ces derniers permettent d’industrialiser à une échelle planétaire les interactions humaines. Au XXème siècle, une information circulait massivement à l’échelle de la journée, voire de plusieurs jours, à travers des médias descendants (journaux, radio, télévision…). De nos jours, une information peut devenir virale, c’est-à-dire être lue et partagée par plusieurs dizaines de milliers de personnes en seulement quelques heures.

L’autre facteur de propagation se situe dans notre cerveau. En effet, l’être humain est “victime” de nombreux biais cognitifs qui viennent fausser son jugement. Un biais cognitif est un schéma de pensée trompeur et faussement logique, souvent inconscient (plus de 250 sont répertoriés). Parmi ceux les plus connus et les plus fréquents sur internet, on retrouve :  

  • le biais de confirmation, qui consiste à privilégier les informations confirmant ses idées préconçues,
  • l’effet dunning-kruger, constaté quand des personnes peu qualifiées sur un sujet sont persuadées d’être très compétentes et tendent à se surestimer. 

Ensuite, les plateformes numériques sont conçues pour générer des bulles de filtres. Ce sont des compartiments créés par la personnalisation des fonctions de recherche et des fils d’informations. Une bulle de filtres peut avoir comme effet nocif de couper l’utilisateur des informations qui sont en contradiction avec son point de vue.  

Enfin, les chambres d’échos complètent ces bulles de filtre en créant un espace social dans lequel les idées, les opinions et les convictions sont renforcées par leur répétition dans un espace clos. Dans une chambre d’écho (forum, groupe facebook…), les opinions discordantes ne s’expriment pas ou sont sous-représentées, réfutées ou éliminées.

 

Le cas particulier des personnes en situation de précarité sociale et numérique 

Il n’existe pas – à notre connaissance – d’ étude qui montrerait qu’un groupe social soit plus réceptif qu’un autre vis-à-vis des fake news. En revanche, on observe que les publics en situation de précarité rencontrent des problèmes spécifiques, susceptibles de les empêcher de se méfier des fake news. 

 

La mauvaise maîtrise des outils numériques rend la navigation sur internet très confusante : difficulté à identifier l’auteur-ice de l’information et ses sources, à comprendre la logique de partages et de commentaires des réseaux sociaux, à identifier et catégoriser les types d’émetteurs (média traditionnels, media alternatifs, institutions, particuliers, lanceur d’alerte…)…

 

Mais ces compétences numériques sont indissociables du contexte culturel de la personne. La barrière de la langue est un frein évident, qui peut lui faire préférer des modes d’information plus informels, auprès des personnes qu’elle peut comprendre (ex : via des groupes whatsapp). Aussi, selon son pays d’origine, la personne aura pu développer un rapport tout à fait différent vis-à-vis du monde politique (défiance envers toute parole politique, quelle qu’elle soit), des institutions (soupçon systématique de leur corruption), du concept même d’accès aux droits… 

 

 

Comment accompagner nos publics face aux infox ? 

 

Césare, chef de service au sein d’un service Mineur Non Accompagnés de l’Association Serena (Marseille), prône le dialogue et l’écoute avant tout. “S’il y a une information que les jeunes considèrent vraie, pour réussir à leur faire prendre conscience qu’il s’agit d’une fake news, il faut les pousser jusqu’au bout de l’idée, aller dans leur sens jusqu’à ce qu’ils se rendent compte par eux-mêmes que c’est absurde.”

Lors du webinaire, nous avons ainsi  identifié 6 bonnes pratiques à mettre en place.  

 

  • Prendre en compte la multiculturalité des publics : comprendre le contexte de leur pays d’origine (politique, économique, médiatique, éducatif…) et leur expliquer les caractéristiques de la société française, à commencer par le fonctionnement de l’administration.
  • Favoriser l’écoute bienveillante et le dialogue : Il est contre-productif de faire acte d’autorité ou d’opposer arguments contre arguments. Une attitude ouverte maintient le dialogue.
  • Différencier ensemble les faits des interprétations  en mettant en avant la présence ou l’absence de preuves. Expliquer qu’il y a une différence entre avoir des doutes et avoir des preuves. L’absence de preuve n’est pas preuve.
  • Organiser des ateliers de sensibilisation, que ce soit par votre structure (voir le site InfoHunter pour s’auto-former) ou par des associations spécialisées : Ancrages, Fake Off, Tuba (région de lyon…) 
  • Partager à vos publics  les sites spécialisés dans la vérification des informations – ce qui implique toutefois d’avoir une bonne maîtrise du français et du numérique : AFP Factuel ,Les Décodeurs du Monde, Africa Check ;  Fake Off de 20 minutes et plein d’autres initiatives dans la francophonie
  • Proposer des ressources pour mieux comprendre les mécanismes sous jacents aux fausses informations (bon niveau de français requis) :

 

Les fakes news sont un vrai danger pour la démocratie car elles entravent le débat d’opinion. Mais pour Césare, “il est tout de même rassurant que les jeunes aient toujours une envie de s’informer”. Les travailleurs sociaux doivent donc les aider – ainsi que tous les autres publics – à adopter les bons réflexes face aux médias en se construisant un esprit critique.

 

Si ce sujet des fake news vous intéresse, vous pouvez : 

  • nous écrire sur lesrelaisnumeriques@emmaus-connect.org et nous raconter votre problématique ou la solution que vous avez mise en œuvre. Elle pourra servir pour un prochain projet !  
  • téléchargez la fiche pratique ci-dessous qui synthétise l’essentiel des points abordés dans cet article.